Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jean claude lattès

  • Il était une fois...peut-être pas d'Akli Tadjer - Editions JC Lattès et Pocket

    il etait une fois 2.jpgDe mes différents achats au Festival du Livre de Nice, j'ai opté en première lecture pour "Il était une fois..peut-être pas" d'Akli Tadjer.

    Motivée  par ma rencontre avec l'auteur, par le titre qui attise la curiosité, et pour son format poche.

    Ce roman date de 2008, paru aux éditions Jean-Claude Lattès, et a reçu le Prix des lectrices aufeminin.com

    Il est de ces rares romans en ma possession qui en fin de lecture se retrouve avec autant de pages cornées. Signe qu'Akli Tadjer sait juxtaposer les mots avec art, maîtrise avec force et émotion l'art de conjuguer les noms, les verbes, les déterminants pour laisser à son lecteur trace d'une multitude de sentiments, de ressentis.
     
    Mohamed a quarante-deux ans. Vit seul avec sa fille Myriam. Ne vit que pour sa fille. Le décor est planté à Paris, avec en toile de fond l'Algérie, et le village de Beni Amar. 

    Myriam quitte un jour son père pour suivre ses études à Toulon. Elle est passionnée de voile, de mer, et de liberté. La séparation est difficile pour Mohamed, ce père attachant et attaché à sa fille unique. 

    "Pour moi ce fut le début de longues soirées à compter les heures, les minutes, les mouches au plafond, à attendre ses coups de fil, à lui demander si elle avait bien mangé, bien dormi, si elle n'avait pas froid, pas chaud,à lui demander si je ne lui manquais pas trop, à lui rappeler que c'était bien ce week-end qu'elle remontait à la maison....J'espérais qu'elle me dise "J'en ai assez des bâbords, des tribords, des vents debout, je rentre au port..." Mais rien ne s'est passé comme ça. On se faisait des mamours. On se répétait qu'on s'aimait.on se jurait qu'on se manquait vraiment. Et on se disait à la prochaine fois." (page 19)

    Puis comme toute jeune fille, Myriam présente son amoureux à son père. Un amoureux qui se prénomme Gaston, mais qui sera Gus pour Mohamed. Gus : un surnom un peu impersonnel, voir moqueur. Pas évident pour un père de voir sa fille chérie s'enticher d'un autre homme. Tous les pères et toutes les filles nous confirmeront cela. Mais Mohamed est intelligent et comprend que sa fille doit vivre sa vie. 

    "Eh oui, Mohamed ! C'est dans l'ordre des choses de voir partir ceux que l''on a chéris toute sa vie... Personne n'appartient à personne..Il n'y pas d'amour, il n' a que des preuves d'amour...Aimer c'est ne pas posséder..Aimer c'est savoir souffrir. Aimer c'est... J'ai enfilé d'autres perles de même calibre. Je n'ai pas poussé plus loin la réflexion parce que ça ne me grandissait pas le moral toutes ces élucubrations." (page 11)

    Au fil des pages, des mots, Mohamed va accepter la présence de Gus sous son toît, malgré l'absence de Myriam repartie dans la rade toulonnaise pour poursuivre ses études. Sauf que, les choses ne vont pas se passer comme on pourrait le croire. Myriam va rencontrer un Iman en devenir à Toulon, laisser Gus, l'abandonner. Mohamed se retrouve donc avec un ex-futur gendre sous son toît, un gus qui n'a pas de famille, et une fille qui s'entiche d'un Malik qui ne correspond pas vraiment aux attentes de Mohamed. Il ne comprend pas comment sa fille a pu tomber dans les griffes d'un tel personnage. Certes ils sont d'une famille algérienne mais comme le dit Mohamed

    "Je l'avais instruite du SMIC religieux, pas plus : ne pas voler, ne pas tuer,ne pas mentir, ne pas trahir, respecter son prochain. Du commun boniment, quoi. Je l'ai priée de bien réfléchir avant de s'engager dans une autre aventure car les hommes de foi que j'avais connus n'étaient pas de grands comiques, encore moins d'ardents défenseurs de la liberté des femmes."

    Une relation particulière mais tendre va se créer entre Mohamed et Gus, et pour faire face au nouveau chemin qu'a décidé de prendre Myriam, Mohamed s'entoure de nouveau de Bla-Bla, Cruella et Lucifer, les peluches de Myriam. Il s'entoure de ses bouts de chiffons, de ses témoins de l'enfance vécue dans cet appartement parisien, mais surtout elles sont, dorénavant, son public. Oui, elles écoutent Mohamed, grand orateur et grand conteur, de "Il était une fois..peut-être pas". 

    Cette formule maintes fois dites par Mohamed à sa fille Myriam. Depuis toujours, il lui contait Awa, Kamel,Marion, Simon,  Barbara, Chems, Madeleine, Simon... Des histoires d'amour, de guerre, d'Algérie, du bled où tous ses personnages s'entremêlent. Des contes, qui ne sont pas peut-être pas des contes, d'où "Il était une fois...peut-être pas". Myriam partie, Mohamed continue à conter, à narrer, à raconter, à témoigner sous fond de guerre d'Algérie les contes sous l'oeil du Grand IL, le Samu de ces nuits blanches.
     
    Mohamed nous embarque tantôt à Paris, dans sa vie de tous les jours, tantôt en Algérie, à Verdun. Le lecteur est bercé d'un monde à un autre, et puis les deux mondes se rencontrent, et on comprend alors. On comprend alors Mohamed, cet homme si paternel, si protecteur, mais un homme qui est capable d'aimer une femme autre que sa fille, sous les traits de Rachel, un homme qui va au bar, joue aux cartes, assume son boulot d'artificier. Mohamed, un homme touchant que l'on peut croire imperméable aux sentiments et aux émotions au cours des premières pages, mais que Nenni !
    Myriam se laissera-t-elle aller à son histoire d'amour avec Malik, cet Iman en devenir qui peut paraître fou et extrémiste ?
    Et Gus qu'adviendra-t-il de lui ? Saura-t-il oublier Myriam, son amour, pour qui il a renié ses parents ?
     
    il etait une fois.jpgSous la plume d'Akli Tadjer vous saurez ce qu'il en est, vous irez de surprise en surprise, mais surtout au fil des pages, on est pris dans le sentiment paternel, le sentiment amoureux, entre deux crises de fous-rire car cette plume est teintée d'humour. Les mots sont doux, sont crus, sont recherchés, sont tirés de l'argot et du Littré. C'est tout cela le talent d'Akli Tadjer au-delà de cette facilité et limpidité à lire son roman.
     
    J'ai frissoné en lisant ce roman, j'ai aussi eu des moments de dégoût (la description des tortures). De la douceur s'est infiltré en moi, des larmes ont perlé sur mes joues, prenant naissance dans mes yeux mais  dans mon coeur aussi, puis mes lèvres ont dessiné des sourires. Car on ne peut être insensible à Mohamed, à cet homme complexe, mais au fond si simple mais surtout d'une intégrité et d'une humanité rare. On découvre un homme avec ses forces et ses faiblesses, avec sa pudeur de mec. 
     
    En refermant ce livre, il est revenu à ma mémoire quelques moments partagés avec mon papa (trop tôt disparu), mais il m'est aussi apparu le sens que l'on peut donner à sa vie par des faits et gestes simples. Simplement en étant soi, en tolérant, en ne jugeant point.
    Un roman fort, qui parle tant du sentiment paternel qu'amoureux, qui parle du feu d'artifice du 21 juin et des différentes guerres, qui parle de l'indépendance de l'Algérie, des modes de vie différents, mais au fond l'amour de son prochain n'a point de frontière, et l'humain existe encore.
     
    Un très beau roman que je vous recommande.
     
    Quelques citations :
     
    Fais gaffe, p'tit con. L'espoir fait vivre. Il y en a plus d'un qui s'est fait couillonner comme ça. (page 218)
    Donc on était là, il me tenait compagnie, je lui tenais compagnie. On était la somme de deux solitudes. (p 218)

    Je suis mieux que son père. Je suis sa vie. Elle est ma vie. (p 211)

    Elle était pomponnée façon niçoise : fard à paupières bleu, sourcils soulignés au crayon noir, lèvres et ongles peints du même carmin (p115) 

    Sûrement qu'il me faudrait quelques jours pour l'oublier, j'ai pensé. Il m'arrive d'avoir des coups de chaud comme ça, et avec le temps je finis par refroidir. Il m'arrive..mais là,je n'étais pas très optimiste à mon sujet. J'avais à l'idée quej'en avais pour un moment avant qu'elle ne devienne que le fantôme d'un dimanche de juin. (p99)

    C'était une jeune fille d'une beauté comme on avait rarement l'habitude de voir dans ces bleds paumés au trou du cul du monde. elle avait les yeux bleus comme une mer d'été, les cheveux blonds comme des épis de blé et sa peau était blanche comme... - Une endive, quoi. - Ne sois pas jalouse; Il y a de très belles endives (p81)